"Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées." (Molière, Le Tartuffe, III, 2).
-L’exhibition de la poitrine d’une femme entre dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal, même si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle ;
Toutefois, si le comportement d’une militante féministe qui dénude sa poitrine, sur laquelle est inscrite un message politique, dans un musée en plantant un pieu dans une statue de cire représentant le dirigeant d’un pays, constitue l’infraction d’exhibition sexuelle, la relaxe de la prévenue n’encourt pas la censure dès lors que ce comportement s’inscrit dans une démarche de protestation politique et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.
C’est ainsi que s’est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation par un arrêt du 26 février 2020 concernant une activiste Femen qui avait exposé sa poitrine au sein du musée Grévin à Paris (Cass. crim., 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I).
Résumé des faits. L’intéressée s’était présentée au musée Grévin, à Paris, dans la salle dite « des chefs d’État », qui rassemble plusieurs statues de cire de dirigeants mondiaux. Elle avait dévêtu le haut de son corps, révélant sa poitrine nue, portant l’inscription : « Kill Putin ». Elle avait alors fait tomber la statue du président russe, M. Poutine, dans laquelle elle avait planté à plusieurs reprises un pieu métallique pour partie peint en rouge, en déclarant : « fuck dictator, fuck Vladimir Poutine ». Elle avait été interpellée, revendiquant son appartenance au mouvement dit « Femen », donnant à son geste le caractère d’une protestation politique.
Poursuivie devant le tribunal correctionnel pour exhibition sexuelle et dégradations volontaires du bien d’autrui, les premiers juges l’avaient déclarée coupable de ces deux délits et condamnée à 1 500 euros d’amende. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de ce jugement.
La cour d’appel de Paris s’est prononcé sur ces appels, par un arrêt du 12 janvier 2017, cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2018 (Cass. crim., 10 janvier 2018, n° 17-80.816, F-D ; lire N. Catelan, Adam (toujours) plus fort qu'Eve : quand un sein est un sexe !, Lexbase Pénal, février 2018), qui a renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.
En cause d’appel. Pour relaxer la prévenue de l’infraction d’exhibition sexuelle, les juges d’appel retiennent que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle, ne vise pas à offenser la pudeur d’autrui, mais relève de la manifestation d’une opinion politique, protégée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Selon les juges, la prévenue déclare appartenir au mouvement dénommé « Femen », qui revendique un « féminisme radical », dont les adeptes exposent leurs seins dénudés sur lesquels sont apposés des messages politiques, cette forme d’action militante s’analysant comme un refus de la sexualisation du corps de la femme, et une réappropriation de celui-ci par les militantes, au moyen de l’exposition de sa nudité.
Ils ajoutent enfin que le regard de la société sur le corps des femmes a évolué dans le temps, et que l’exposition fréquente de la nudité féminine dans la presse ou la publicité, même dans un contexte à forte connotation sexuelle, ne donne lieu à aucune réaction au nom de la morale publique. La juridiction du second degré souligne que, si certaines actions menées par les membres du mouvement « Femen » ont été sanctionnées comme des atteintes intolérables à la liberté de pensée et à la liberté religieuse, le comportement de la prévenue au musée Grévin n’entre pas dans un tel cadre et n’apparaît contrevenir à aucun droit garanti par une prescription légale ou réglementaire.
Une exhibition sexuelle consommée mais non punissable. Reprenant la solution visée plus haut, la Cour suprême retient que c’est à tort que la cour d’appel a énoncé que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du Code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle.
Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors qu’il résulte des énonciations des juges du fond que le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.
Arrêt n° 35 du 26 février 2020 (19-81.827) Chambre criminelle, Cour de cassation
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