Actualité people : Une loi étrangère ignorant la réserve n’est pas contraire à l’ordre public international
-« Une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français ». Tel est le principal enseignement de deux importantes décisions rendues par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 septembre dernier (Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 16-17.198 et Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 16-13.151).
Ces deux arrêts étaient très attendus par la doctrine ainsi que par les praticiens, et tout particulièrement les notaires. Les avis étaient opposés sur cette question aux enjeux pratiques considérables. D’éminents auteurs considéraient que la réserve pourrait relever de l’ordre public international (M. Grimaldi, Brèves réflexions sur l’ordre public et la réserve héréditaire : Defrénois 2012, p. 755) ; d’autres doutaient que la matière puisse s’analyser en un principe essentiel du droit français (H. Peroz, E. Fongaro, Droit international privé patrimonial de la famille, LexisNexis, 2e éd., n° 835 et s). Deux facteurs avaient récemment présidé au regain d’intérêt du sujet : l’abrogation du droit de prélèvement par la décision QPC du 5 août 2011 (Cons. const., 5 août 2011, n° 2011-150 QPC : JCP N 2011, 1234, note E. Fongaro) et, surtout, l’entrée en application du « règlement successions ». La question se posait notamment de savoir si, pour la mise en œuvre de la professio juris, une loi étrangère ne connaissant pas l’institution de la réserve devait être considérée comme contraire à l’ordre public international français. Rendues sous l’empire des règles de conflits de lois applicables aux successions ouvertes avant le 17 août 2015, la solution consacrée par la cour régulatrice dans les deux arrêts du 27 septembre s’appliquera également aux successions internationales relevant du nouveau règlement européen.
Dépassant la question de la nature du droit de prélèvement – règle de dévolution successorale ou règle de partage -, la cour régulatrice, dans l’arrêt n° 16-17.198, se fonde sur les dispositions de l’article 62 de la Constitution pour considérer que ledit droit de prélèvement ne pouvait être invoqué par les demandeurs au pourvoi, privés de droits dans la succession de leur père en application de la loi californienne désignée par la règle de conflit de lois française. Ne pouvant être sauvée par le droit de prélèvement, la question se posait alors, dans les deux affaires, de savoir si la réserve héréditaire des enfants pouvait être protégée par l’exception d’ordre public international dès lors que la loi applicable à la succession – loi de l’Etat de Californie dans les deux arrêts- ignorait cette institution. La Cour de cassation, dans les deux décisions, apporte une réponse négative mais nuancée : « une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ». Les deux arrêts n’aboutissent donc pas à un refus sans discernement du caractère d’ordre public international de la réserve héréditaire ; si le résultat produit par l’application de la loi étrangère, apprécié in concreto, s’avère inadmissible, l’exception d’ordre public international pourra développer ses effets. La cour régulatrice précise alors le seuil de déclenchement de l’exception d’ordre public international dans un tel cas de figure. Reprenant une formule employée par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 16 déc. 2015, n° 13/17078), les conseillers de la première chambre civile indiquent notamment que les héritiers privés de droits ne se trouvaient pas dans « une situation de précarité économique et de besoin ». Plus avant, une interprétation a contrario du dernier motif des deux décisions donne à penser que l’exception d’ordre public international devrait d’autant plus volontiers être mise en œuvre, en cas d’incompatibilité de la situation avec les principes essentiels du droit français, que la situation présente des points de contact avec la France. Une telle casuistique ne sera sans doute pas de nature à satisfaire les notaires. Ces derniers pourront toutefois se rassurer en observant que les arrêts n’ont pas repris l’analyse des juges du fond estimant que la fonction alimentaire de la réserve prenait le pas sur sa fonction de conservation des biens dans la famille. Il avait en effet été souligné qu’une telle « qualification » pouvait poser problème, en cas de déclenchement de l’exception d’ordre public international, pour déterminer le montant de la réserve (E. Fongaro, Réserve héréditaire et droit international privé, in Chronique de droit international privé, JCP N, 2016, 1290, n° 6, sous la direction de C. Nourissat). Cette difficulté semble désormais levée.
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